Vassili Grossman : La Dernière Lettre
La femme du gardien (....) disait à une voisine : "Dieu merci, on va être débarrassé de tous ces youpins." D'où cela peut il venir ? Son fils est marié à une juive et la vieille séjournait chez son fils, elle me parlait ensuite de ses petits enfants...
« La Dernière Lettre » est un des chapitres du roman Vie et Destin de Vassili Grossman, qui, à sa parution en France en 1980, a obtenu le prix du meilleur Livre étranger.
Saisi par le KGB en 1961, notamment, parce qu'il osait mettre en parallèle Nazisme et Communisme, disparu pendant vingt ans, ce livre n'a survécu que par miracle.
Salué comme le Guerre et Paix du XXe siècle, ce chef d'œuvre est à la fois une épopée de la survie humaine et le récit de la grande guerre patriotique, focalisé sur ce tournant de la guerre qu’est la bataille de Stalingrad, la victoire de l'Armée rouge et la reddition des Allemands après des mois de combats acharnés.
Le contexte donne à l’œuvre une dimension tragique et philosophique. Il évoque le combat, la vie et la mort, mais fait aussi résonner puissamment l’histoire personnelle de Vassili Grossman. Le roman est en effet, dans son entier, construit comme un hommage à sa mère. Il restitue la vérité de leur relation filiale au plus juste, au plus dramatique, à ce point précis qui noue l’individuel et le collectif, où Anna est enchaînée à son destin et à l'Histoire dont la grande hache, certes, la condamne à vivre dans la peur, la délation, la soumission, mais aussi dans l'amour, le don, la lucidité et la redécouverte du pouvoir consolateur de sa religion juive.
Vassili Grossman se propose de reprendre la formule de Tolstoï, et “d'arracher le voile et de montrer les choses comme elles sont”.
Il s’attaque à la question du choix individuel qui se pose à chacun de nous, dans la vie quotidienne comme dans les situations extrêmes. En convoquant, de façon actuelle, éthique et morale, en appelant à notre responsabilité individuelle et à notre liberté, Vassili Grossman dévoile nos lâchetés, nos compromissions et nos fictions contemporaines.
Roman de guerre, il rappelle que les conflits, s’ils déchirent le tissu social, séparent les époux, les familles, les amis, incitent aussi les hommes à penser par eux-mêmes.
Note d'orientation artistique
Ce texte pose le défi de représenter de ce qui est difficile à représenter.
Le décor est réduit au minimum (un mur nu, 2 chaises, 1 table) pour laisser toute sa place au texte. 3 espaces s’articulent à la structure du récit. (la maison, la marche vers le ghetto et enfin la vie dans le ghetto)
Des photos de famille évoqueront un monde disparu. La présence de la mère sera suggérée.
J’ai souhaité passer progressivement de la lecture des premières phrases de la lettre à l’incarnation du personnage de la mère. L'interprète donne vie à l’ensemble des personnages qui apparaissent brièvement au fil du récit. Le passage d’un personnage à l’autre se fait sans costume, mais uniquement par le corps, la voix ou la lumière.
Principales sources consultées
Podcast France Culture
Vassili Grossman, ou "Les manuscrits ne brûlent pas"
Les années de guerre de Vassili Grossman
Vassili Grossman et la bataille de Stalingrad
Ouvrages et textes consultés
Dominique Bonnet, « Chronique d’une mort annoncée par une mère à son fils : l’indicible anticipé dans La dernière Lettre de Vassili Grossman », dans Interférences littéraires, nouvelle série, n° 4, « Indicible et littérarité », s. dir. Lauriane SaBle, mai 2010, pp. 77-84.
VIE ET DESTIN d’après Vassili Grossman / Interview de Lev Dodine sur son adaptation et sa mise en scène de Vie et Destin pour son spectacle aux Célestins en 2008
LIPKINE Sémion, Le destin de Vassili Grossman, trad. A. Berelowitch, éd. L’âge d’homme, Lausanne, 1990
Destins de Vassili Grossman, article de 2023 de Yäel Pachet, En Attendant Nadeau (EAN)
Vassili Grossman, "Vie et destin" et l'écriture de l'irreprésentable, Conférence de Jérôme Ferrari
MARKISH Simon, Le cas Grossman, trad. D. Négrel, éd. Julliard/L’âge d’homme, Paris, 1983
GROSSMAN Vassili, Œuvres, Vie et destin, trad. A. Berelowitch, préface T. Todorov, éd. Robert Laffont, Paris, 2006,