Pierre Michon : Vie d'André Dufourneau
" Hier encore peut être, quelque vieillarde assise sur le pas de sa porte à Grand Bassam, se souvenait du regard d'épouvante d'un blanc quand miroitérent les lames et du peu de poids de son cadavre dont on retira les lames ternies, elle est morte aujourd'hui..."
L'itinéraire d'un écrivain
Pierre Michon en 1996 ©Getty - Sophie Bassouls/Sygma
Pierre Michon est un écrivain français né en 1945 dans la Creuse. Bien que son œuvre paraisse mince – relativement peu d’ouvrages, essentiellement sous la forme de récits - Il est aujourd’hui considéré comme une des voix majeures de la littérature française et son œuvre a fait l’objet d’une exégèse riche et nourrie.
Conjuguant passé et présent, éléments autobiographiques, amoureux ou amicaux, il questionne son amour inconditionnel pour la Littérature, socle sur lequel il construit jour après jour, dans l’élan et la désillusion, son rapport au monde.
Son premier livre, Vies minuscules est un recueil de récits autobiographiques, de « Vies », à la manière des vies de Saints, religieux ou profanes, de personnages oubliés, infimes, « minuscules », c’est-à-dire de personnages, dont la vie, en deçà de leurs rêves et de leurs aspirations, nourrit avec « d’éclatants désirs au sein du réel terne » violence et déceptions.
Actualité du texte de Pierre Michon
André Dufourneau est un homme au destin brisé : issu d’un milieu misérable, orphelin et enfant placé dans une ferme, il rêve d’une vie plus grande que la sienne.
Son arrivée dans la vie du narrateur, dans la ferme familiale, ressemble à celle d’un héros, dont on ne connaît rien du passé, auréolé de mystère. Les oracles le marquent d’un fer rouge – sa bâtardise réelle ou supposée – et le vouent à un échec qu’il n’aura cesse de tenter de conjurer en convoquant « le dieu hautain et sommaire du tout ou rien » pour « accomplir d’éblouissantes revanches. »
Le moteur de l’ambition sociale d’André Dufourneau est cette soif inextinguible de revanche, instillée par un subtil sentiment de déclassement et la pratique d’une « langue mutilée », marqueur de son infériorité. Assouvir sa revanche ne passera que par l’oubli de soi, de son passé et par l’exercice d’une violence cathartique exercée sur de plus humbles que soi.
Cette confrontation entre rêve et désillusion, celle du héros face à son échec inéluctable et l’amertume qu'il ressent, est la puissante dynamique qui structure le récit et l’interprétation que je veux proposer.
Note d'orientation artistique
Le narrateur est le personnage sur le devant de la scène, face au public. Il est celui par qui ce monde des minuscules reprend vie, redevient visible. Passeur entre les vivants et les morts, ceux qui restent et ceux qui partent, avec comme seul et puissant outil son verbe, la couleur de ses mots, il s’adresse au public avec lequel il ruse, dissimule, se moque, rie. Tel un dieu, il sort de l’oubli, convoque, juge et renvoie au néant.
Le narrateur fera vivre tour à tour tous les personnages de cette saga familiale, mi- réelle mi-fantasmée.
La position du narrateur permet d’exploiter les tensions dramatiques, que Pierre Michon développe dans son texte. Entre passé et présent, illusion et réalité, méditation et trivialité, mythologie, Afrique et « province sans côtes, plages ni récif » , l’histoire se concentre sur un seul lieu, la maison des Cards – maison de l’enfant écrivain en devenir dont nous comprenons qu’il le devient, lieu à la fois matrice, temple et tombeau - et un continent fantasmé, l’Afrique, qui bien que n’existant que dans le récit du narrateur, est cet immense et formidable lieu de projection, à la fois source du désir, lointain outremer, possibilité d’une écriture « pleine d’échos et de massacres, des éblouissantes proses » ainsi que des inévitables déceptions d'un « réel terne ».
Sources consultées (outre les ouvrages de Pierre Michon)
- A Voix Nue, France Culture, Pierre Michon, écrivain majuscule, entretiens avec Pierre Michon en 2002.
- Vies minuscules, majesté du vivant, Pierre Michon, Entretiens 2020
- Cahier de l’Herne - Pierre Michon - publié en 2017, sous la direction d’Agnès Castiglione.
- «Le Roi vient quand il veut». Propos sur la Littérature de Pierre Michon, Albin Michel 2007 et 2016.
- Les Mardis de la Philosophie, cycle « Parcours de Pierre Michon » construit et animé en 2024 par Denis Labouret, maître de conférence en littérature du XXème siècle à Paris Sorbonne.
- 30 ans de compagnonnage entre Pierre Michon & la Compagnie de l’Argile, par Jean-Christophe Cochard.
Remerciements
Je remercie tout particulièrement Agnès Castiglione, présidente de l’association des amis de Pierre Michon et Denis Labouret, Maître de conférences à la Sorbonne en Littérature française du XXe siècle, pour leurs éclairages, nos échanges et leurs encouragements à monter ce projet.
Les phrases citées entre guillemets sont des citations de Pierre Michon tirées de principalement des Vies minuscules, du cahier de l’Herne et du « Roi vient quand il veut »